Vous le savez, tout comme les voitures, les montres ont besoin d'énergie pour fonctionner ! Une énergie qu'elles peuvent stocker de différentes manières… Mais, quoi de plus frustrant que de sortir une montre de son écrin et de s'apercevoir que celle-ci est complètement arrêtée ?
Pour éviter cela et permettre aux passionnés de profiter pleinement de leur garde-temps, les horlogers ont mis au point un affichage spécifique : la complication réserve de marche. Grâce à elle, il est possible de connaître en temps réel le niveau d'énergie restant dans la montre. Alors installez-vous confortablement car aujourd'hui, nous vous expliquons tout sur cette fonction que vous connaissez très certainement de nom !
Parfois aussi appelé « indicateur de réserve d'énergie », l'indicateur de réserve de marche permet de connaître la quantité d'énergie restante dans le barillet d'une montre mécanique. Petit rappel pour ceux qui ne seraient pas familiers avec ce terme, le barillet est une petite boîte circulaire dans laquelle est enroulé un ressort, appelé « ressort moteur », chargé de stocker l'énergie nécessaire au fonctionnement de la montre.
Vue éclatée d'un barillet de montre (Source : Générale Ressorts)
Mais s'il est vrai que cette complication se retrouve le plus souvent sur des montres mécaniques, il convient de préciser que certaines montres hybrides peuvent aussi l'embarquer…
De manière générale, le barillet d'une montre fonctionne donc un peu comme le réservoir d'essence d'une voiture thermique. Et si le barillet est le réservoir, l'indicateur de réserve de marche joue alors le rôle de jauge d'essence. La graduation de cette réserve est généralement exprimée en heures, mais certaines montres très endurantes l'indiquent en jours.
Sur une montre, cet indicateur prend le plus souvent la forme d'une aiguille pointant vers des graduations disposées en arc de cercle, une configuration qui rappelle immédiatement les tableaux de bord des voitures.
Positionnement de l'indicateur de réserve de marche sur le cadran
S'il est souvent placé sur la partie supérieure du cadran, cet indicateur peut aussi se situer à 6 heures, 9 heures, ou ailleurs. Cela dépend des modèles et des fabricants !
Sur certaines montres, l'indicateur de réserve de marche peut aussi être représenté sous la forme d'un disque rotatif gradué, mais aussi sous l'apparence d'une réglette.
En fonction des montres, l'indicateur de réserve de marche peut afficher des informations différentes. De fait, on peut dire de lui qu'il possède plusieurs fonctions…
Cette distinction peut sembler subtile, mais elle est essentielle !
Peut-être vous dites-vous que la complication est moins utile sur une montre automatique, qui se remonte seule grâce aux mouvements du poignet. En réalité, si vous travaillez toute la journée assis derrière un bureau, votre montre ne se recharge peut-être pas suffisamment. Dans ce cas, l'indicateur de réserve de marche vous indique si votre garde-temps aura besoin d'un petit coup de remontage pour vous accompagner tout au long de la journée.
L'histoire de la réserve de marche est, en horlogerie, relativement peu documentée… Toutefois, les premières traces semblent remonter au 18ème siècle, à l'époque où les chronomètres de marine commencèrent à être utilisés. Ces instruments, d'une précision remarquable, étaient essentiels à la navigation. Comme nous l'avons évoqué dans notre guide retraçant l'histoire horlogère, la vie des marins dépendait littéralement de leur fiabilité.
Chronomètre de marine par Thomas Mudge, Circa 1774 (Source : British Museum)
Un exemple marquant est le chronomètre de marine conçu en 1774 par l'horloger anglais Thomas Mudge. Celui-ci intégrait déjà une indication de réserve de marche, exprimée en jours. L'affichage se faisait par une ouverture en arc de cercle, placée dans la partie supérieure du cadran, où une fine aiguille pointait une graduation allant de 1 à 7. Grâce à ce système, les navigateurs savaient exactement quand il était nécessaire de remonter leur instrument.
Quelques années plus tard, en 1794, apparaît la première montre de poche dotée d'un indicateur de réserve de marche.
Montre de poche Breguet avec indicateur de réserve de marche, circa 1794 (Source : Montres Breguet SA)
Réalisée par Breguet, cette pièce en or jaune combinait deux fonctions : une complication phase de Lune et une réserve de marche. Toutes deux étaient disposées sur la partie supérieure de son cadran, la réserve étant exprimée sur une durée de 60 heures.
Il faudra attendre bien plus tard pour voir cette complication transposée dans une montre-bracelet. En effet, ce n'est qu'en 1933 que Breguet dévoila le premier prototype de montre poignet intégrant une réserve de marche. Cette création n'était toutefois pas destinée à la production en série.
La véritable première montre à complication réserve de marche commercialisée pour le grand public vit le jour en 1957, avec la LeCoultre référence 8986.
Montre LeCoultre réf. 8986, circa 1957 (Source : Life on the Wrist)
La LeCoultre référence 8986 était animée par le calibre 481, un mouvement dérivé du calibre 476, premier mouvement automatique un peu particulier conçu par la maison. Particulier, pourquoi ? Parce que sa masse oscillante ne tournait pas librement, elle effectuait un arc de rotation de 270 degrés avant de venir buter contre un petit élément métallique muni d'un ressort.
Calibre LeCoultre 481 (Source : suissemontre.com)
Si vous êtes un fin connaisseur ou simplement si vous avez parcouru notre guide sur les montres mécaniques et automatiques, vous savez que ce type de mécanisme porte le nom de « mouvement bumper » ! Pour rappel ce type de mécanisme constitue la première forme de mouvement automatique de l'histoire.
D'un point de vue esthétique, l'indicateur de réserve de marche de cette LeCoultre se distinguait par sa sobriété et son efficacité. Une fenêtre en arc de cercle prenait place sur le cadran, entre le logo de la marque et l'index de 12 heures. Derrière elle, un disque gradué sur 40 heures tournait en continu, affichant en temps réel la réserve disponible. Particularité ingénieuse : la présence d'une zone rouge, permettant au porteur d'identifier d'un simple coup d'œil si la montre manquait d'énergie.
Montre LeCoultre réf. 8986 avec disque de réserve de marche en zone rouge (Source : Collector Square)
Cette référence 8986 occupe une place particulière dans l'histoire de Jaeger-LeCoultre, car elle marque le point de départ de nombreuses collections devenues mythiques parmi les amateurs de vintage, comme les Powermatic ou les Futurematic.
Dès les années 1950, plusieurs autres maisons se lancèrent dans la course et firent le tour des montres équipées de la complication réserve de marche. Parmi elles : Enicar, Baume, Paul Perregaux, mais aussi Zodiac, qui développa une ligne baptisée Autographic. Dans cette série, certaines montres présentaient une graduation de réserve allant de 0 à 36, affichée en arc de cercle convexe ou concave. Les cadrans donnaient ainsi l'impression d'être en train de sourire ou, au contraire, de faire la moue ! Les collectionneurs les surnomment d'ailleurs affectueusement « Happy Dial », littéralement « cadran heureux », les modèles semblant joyeux.
Montre Zodiac Autographic 686 « Happy dial », circa 1950 (Source : Vintage Watch Specialist)
De son côté, la maison Record innova en proposant une montre dotée d'un cadran pour le moins original. Son indicateur de réserve de marche se présentait en effet sous la forme d'un petit compteur placé sur la partie supérieure du cadran.
Cette configuration inhabituelle donnait presque l'impression que la montre était équipée d'un manomètre intégré !
Montre Record à réserve de marche, circa 1950 (Source : Bold Timepieces)
À la fin des années 1950, ce fut au tour de Longines de surprendre les amateurs avec une déclinaison de sa célèbre collection Conquest. Ce modèle se distinguait d'abord par sa complication date placée de manière atypique au sommet du cadran, mais surtout par son disque central servant d'indicateur de réserve de marche. Une particularité qui lui valut le surnom donné par les collectionneurs anglophones : « Longines Conquest Central Power Reserve ».
Longines Conquest Central Power Reserve réf. 9028, 1959 (Source : Ouest France - The Watch Observer)
Cette belle montre automatique de 35mm de diamètre animée par le calibre Longines 292 sera vendue dans de nombreux pays… En attestent les superbes publicités colorées de l'époque faisant la promotion du modèle dans différentes langues.
Publicité ancienne mexicaine pour la Longines Conquest à réserve de marche (Source : Les Rhabilleurs)
Ce modèle emblématique a récemment été réédité par la manufacture Longines au sein de sa collection Conquest Heritage. Un merveilleux moyen de goûter à cette pièce historique sans les contraintes que l'on peut parfois rencontrer avec les montres vintage !
Longines Conquest Heritage Central Power Reserve (Source : aBlogtoWatch)
Durant les années 1960, de nombreuses manufactures proposèrent des montres équipées d'une fonction réserve de marche. Pourtant, cette complication perdit progressivement en popularité dans les décennies suivantes, avant de connaître un véritable retour en grâce dans les années 1990. C'est en effet à cette période que les complications horlogères commencèrent à séduire à nouveau le grand public.
Des maisons comme Breguet, Chaumet, Universal Genève ou encore Zenith contribuèrent alors à remettre en lumière cette indication, qui, bien que simple, demeure d'une grande utilité au quotidien !
Montre Breguet Classique à réserve de marche, circa 1990 (Source : Watch Brothers London)
La marque Seiko joua également un rôle important dans ce renouveau. Dans les années 1990, elle mit en avant la complication sur certains modèles de sa gamme Kinetic, des motres hybrides dont la réserve de marche se distinguait par des graduations colorées (en rouge, jaune ou bleu) donnant un aspect visuel plus graphique et moderne à l'affichage.
Seiko AGS 5M23-6B70, circa 1994 (Source : Chrono24 - @Vintage Watch Place)
Impossible d'évoquer Seiko sans mentionner également Citizen, qui fit de la réserve de marche un élément emblématique de ses montres Eco-Drive fonctionnant à l'énergie solaire.
Sur certains modèles, l'indicateur occupe une place centrale, tandis que sur d'autres il s'intègre harmonieusement au sein d'un cadran riche de plusieurs complications.
Citizen Promaster JV1005-02W avec indicateur de réserve de marche
Aujourd'hui, la complication réserve de marche s'est largement démocratisée et se retrouve dans toutes les gammes de prix.
Des marques comme Seiko, Orient Star, Citizen, The Citizen, Tissot, Bauhaus ou encore Pequignet proposent des modèles variés, allant du style épuré au plus racé, tout en mettant en valeur cette fonction aussi esthétique que pratique.
Sur le plan technique, plusieurs solutions mécaniques existent pour capter et retranscrire le niveau d'énergie présent dans la montre à l'affichage sur le cadran…
Dans cette configuration, un petit train d'engrenages, appelé « différentiel de réserve de marche », calcule la différence de rotation entre l'arbre du barillet (la partie cylindrique que l'on observe à la verticale) et la paroi du barillet. Cette valeur est ensuite transmise à l'aiguille de l'indicateur, qui avance ou recule en fonction de l'état d'armage du ressort, c'est-à-dire selon la tension de celui-ci.
Indicateur de réserve de marche avec remontoir d'égalité (Crédit photo : Joseph Flores)
Si ce système peut sembler simple à première vue, il est en réalité d'une précision redoutable, capable de traduire fidèlement la tension du ressort moteur. Cette exactitude a cependant un coût… Le différentiel de réserve de marche reste exclusif aux montres de haute horlogerie. Son architecture relativement volumineuse le rend difficile à intégrer dans des montres ultra-compactes, ce qui limite son utilisation.
Pour la petite histoire, ce mécanisme était déjà utilisé dans les chronomètres de marine du 18ème siècle ainsi que dans les chronomètres de poche d'antan, témoignant de son efficacité et de sa fiabilité historiques.
Dans ce système on retrouve une « came », à savoir une pièce prenant la forme d'un escargot, qui se trouve être solidaire de l'arbre du barillet. À mesure que le ressort se détend ou se remonte, la came change de position. Un ressort pousse un palpeur contre cette came, et ce mouvement est transmis à l'aiguille de réserve de marche. Cet enchaînement d'actions permet à la montre d'afficher la réserve de marche.
La structure de ce système est à la fois robuste et compacte, tout en restant simple de conception. Autant d'atouts qui font qu'elle a été utilisée par Jaeger-LeCoultre au cours du siècle dernier et qu'elle est ensuite devenue une sorte de norme dans l'industrie horlogère. Ainsi, lorsque vous voyez une montre mécanique haute de gamme affichant un indicateur de réserve de marche, il est fort possible qu'elle utilise ce système-là ! Seule ombre au tableau ici, l'indication peut légèrement manquer de précision, en particulier aux extrémités de la réserve, c'est-à-dire lorsque la montre est complètement remontée ou bien lorsqu'elle est sur le point de s'arrêter.
Ces systèmes sont un peu plus particuliers…
Il arrive qu'ils utilisent un différentiel simplifié qui ne calcule pas la réserve de marche de manière continue. Cette pièce transmet alors une information approximative qui est ensuite corrigée par une came. C'est de cette manière que les montres qui sont équipées de ce dispositif parviennent à indiquer leur réserve de marche.
Parfois aussi, l'aiguille de réserve est directement entraînée par un train d'engrenages lié à l'arbre du barillet, sans aucun différentiel.
Ces solutions hybrides ou simplifiées présentent une conception plus compacte, plus basique et sont, de fait, moins chères à intégrer aux montres. Elles permettent aux constructeurs de proposer des modèles dotés d'une complication réserve de marche simple mais fonctionnelle.
Elles sont apparues plus récemment et ont été élaborées dans une logique de réduction des coûts. Des fabricants de mouvements comme ETA et Soprod sont même allés jusqu'à concevoir ce que l'on appelle des « modules additionnels » qu'ils n'ont ensuite qu'à intégrer à des calibres déjà existants. De fait, on retrouve souvent ce genre de configuration dans les montres pourvues d'un indicateur de réserve de marche les plus accessibles du marché !
Voilà, vous connaissez tout au sujet de la complication réserve de marche, de son origine à son mode de fonctionnement en passant par son utilité. A l'avenir, vous saurez que derrière une fonction à l'apparence simplissime peut se cacher une étonnante complexité…
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